La ceinture : bien plus qu’un simple accessoire !!!
Cette semaine, un élève m’a encore rapporté une phrase qu’il avait entendue de son précédent professeur : « La ceinture n’est là que pour tenir le pantalon. » Bien que cette citation semble venir d’un film (dont je ne me rappelle plus le titre), elle m’a laissé songeur.
Il est désolant qu’un enseignant, censé transmettre la profondeur et la richesse des arts martiaux, se contente d’une référence aussi superficielle. Une telle remarque, dénuée de contexte ou de réflexion, réduit la ceinture à un simple objet utilitaire, effaçant tout le symbolisme qu’elle porte.
Dans les arts martiaux, la ceinture est bien plus qu’un morceau de tissu : elle est un symbole d’engagement, une marque de progression, et un outil de transformation intérieure. Chaque fois qu’un pratiquant noue sa ceinture, il renoue aussi avec les valeurs fondamentales du Budô : discipline, respect, et conscience de soi.
Dénigrer cet aspect rituel, même sous forme de boutade, risque de priver les élèves d’une compréhension essentielle de la pratique martiale. C’est un rappel, pour nous, enseignants, de toujours transmettre avec profondeur et respect.
Lorsque le Bouddha atteignit l’éveil, il se rendit près d’une rivière pour s’y baigner. À cette époque, une épidémie sévissait, et des cadavres flottaient le long du courant. Comprenant profondément le caractère transitoire et éphémère de ce monde, le Bouddha décida de prélever des vêtements sur ces corps sans vie, un geste symbolisant son éveil. Ce fut également l’occasion pour lui de délivrer son premier message : l’impermanence de ce monde.
Il revêtit alors un vêtement orange, qui inspira plus tard la couleur emblématique des robes des moines bouddhistes.
Les Maîtres ont choisi de symboliser ce geste du Bouddha par le port d’une ceinture, incarnant l’éveil du Maître.
Traditionnellement, l’étoffe que prit le Bouddha devint le fameux kesa des moines japonais. Ce vêtement, objet de foi, est également le symbole du satori (illumination) atteint par le Bouddha.
Pendant longtemps, le kesa était fabriqué à partir d’une étoffe « sale », souvent un linge de menstruation usagé, que l’on lavait et purifiait. Cette pratique symbolisait la transformation d’un objet considéré comme impur en un objet sacralisé.
Bien plus tard lorsque le système de la ceinture du "kimono" (Keiko-Gi) fut introduite dans les dojos, on plaça une petite poche dans la ceinture (aujourdh'ui il y a une étiquette de la marque du Kimono) et l'on placait un linge "sale" dans celle-ci, rappelant ainsi le linge du Kesa et de l'habit du Bouddha. La première ceinture qu’il recevait était blanche, signe de deuil (de soi) et de travail sur soi. Cette étape marquait le début de son chemin : il forgeait son corps, son esprit et sa volonté.
Lorsque le pratiquant atteignait une maturité suffisante, il recevait une ceinture noire. Celle-ci symbolisait le linceul de son ego, de ses doutes et de ses faiblesses, marquant ainsi une transformation intérieure profonde.
La ceinture symbolise le lien entre deux forces fondamentales : l’eau, associée aux reins, et le feu, représenté par le Hara. Ces deux éléments, dans une perspective religieuse, sont désignés par le terme japonais "KA MI", souvent traduit par "esprit".
Dans l’ésotérisme occidental, le mot "Fiat" fait référence au Verbe créateur qui engendra l’univers. En écho, dans l’ésotérisme oriental, "KAMI" désigne l’esprit, mais ici, il prend un sens plus profond : il représente le feu de la conscience, cette énergie divine qui insuffle la vie à la matière inerte, symbolisée par l’eau.
Les reins, avec leurs deux points, réunis au point unique du Hara, forment ensemble le triangle du feu. Cette géométrie, fruit de la dualité des reins et de l’unité du Hara, incarne la trinité universelle, et se trouve précisément au niveau du ventre, centre énergétique et spirituel du corps.
Les reins, considérés comme le siège de la peur, jouent un rôle crucial dans ce processus. Porter une ceinture permet de rassembler ces énergies, de maîtriser les peurs et de les "fondre" dans le fourneau du ventre, où elles sont transformées. Ces peurs sont amenées au Hara, ce centre où, selon la tradition hindoue, réside Brahma, le Dieu absolu.
En ceignant la ceinture, le pratiquant remet ses peurs, ses pulsions inconscientes et ses instincts animaux à l’Absolu, au Divin. Ce geste marque un choix symbolique et spirituel : passer du stade animal au stade humain, puis évoluer vers le stade spirituel, où l’esprit transcende la matière.
Le shimenawa et la sacralisation de la ceinture
Dans le Shintoïsme et le Bouddhisme, les rituels et les lieux sacrés sont souvent marqués
par des shimenawa, ces cordes sacrées qui délimitent l’espace où le sacré réside. Lors des cérémonies comme les marches sur les braises ou autour d’un espace sacré, ces cordes
indiquent que l’endroit est chargé d’une énergie spirituelle particulière.
Le nœud que nous faisons avec la ceinture autour de notre taille peut être vu comme un shimenawa personnel, un
nœud rituel chargé de symbolisme. Ce n’est pas un geste anodin : il représente la délimitation et la sacralisation de notre propre corps en tant qu’espace sacré.
C’est pourquoi il est essentiel de cindre la ceinture et de réaliser le nœud avec toute sa conscience. Ce geste ritualisé transforme notre corps en un sanctuaire, un temple sacré, préparé pour que la pratique martiale nous élève. En nouant la ceinture avec cette intention, nous relions notre esprit et notre corps, en consacrant chaque mouvement à une quête spirituelle et à l’harmonie intérieure.
La ceinture : lien entre ciel, terre et centre intérieur
La ceinture joue un rôle symbolique et énergétique essentiel : elle établit le lien entre le ciel et la terre, unissant ces deux forces fondamentales à travers le corps du pratiquant.
Elle relie également les reins, souvent considérés comme le siège des peurs inconscientes, au Seika Tanden (ou Hara), le centre énergétique situé dans le ventre. Par cette action consciente de ceindre la ceinture, nous cherchons à transformer ces peurs profondes en les "brûlant" dans le fourneau du ventre.
Le ventre, en effet, est plus qu’un simple espace physique : il abrite le centre de la volonté. C’est à partir de ce point que naît la force intérieure nécessaire pour dépasser les limitations, maîtriser les émotions et avancer sur la Voie, en transcendant nos peurs inconscientes pour les convertir en énergie pure.
La ceinture dans le Nin-Jutsu : lien du Ten-Chi-Jin
Dans le Nin-Jutsu, la notion de Ten-Chi-Jin est fondamentale, symbolisant les trois
dimensions de l’existence :
✦ Le Ten représente le Ciel, associé à la partie supérieure du corps.
✦ Le Chi représente la Terre, liée à la partie inférieure du corps.
✦ Le Jin représente l’Homme, incarné par le milieu du corps.
La ceinture joue un rôle crucial dans cet équilibre : elle réunit et maintient l’harmonie entre
le Ciel et la Terre à travers le corps humain, créant un axe central incarné par le Jin.
Elle a également une fonction importante lors des pratiques rituelles. En ceignant la taille, la
ceinture coupe les forces animales de l’homme, symbolisant une transformation intérieure où l’instinct brut est transcendé par la conscience et la discipline. Dans
le Budô, où chaque geste doit avoir une portée rituelle, cette action n’est pas anodine : elle sacralise le corps et prépare l’esprit à l’entraînement ou au combat.
Pour activer pleinement ce Sanshin (l’unité du corps, de l’esprit et de l’énergie), il est essentiel que le pratiquant soit conscient de ce qu’il porte. Ce n’est pas qu’un simple accessoire : c’est un lien symbolique entre l’humain et le sacré, une invitation à pratiquer avec intention et respect.